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1Monseigneur, je receu hier votre lettre du XVIIe, responsive à la mienne du Ve. Vous
2devrés avoir depuis receu deux ou troys des miennes, lesquelles me garderont de vous
3faire du tout si longue responce. La verité est bien telle que vous dictes que j’ay
4trouvé à mon retour de la court beaucoup d’affères, desquels je ne suys encor
5dehors, toutesfoys, il fauldroit quils fussent bien grands s’ils me gardoyent
6de m’aacquitter au moins en partie, de mon devoir en votre endroit. Je ne vous
7diray rien davantaige du seigneur de Sainct-Romain, sinon qu’ayant tenu le
8propos dont mescrivés au neveu de monsieur le premier president, il na rien
9faict en cela, sinon pro caetera sua sapientia. De ma part, j’ayme mieux estre
10comprins au nombre des presidens et conseilliers quil menace que s’il m’en
11avoit excepté. Je doibs avoir icy à ceste chandeleur les colonels et
12capitaines des bandes suisses, avec lesquels je m’informeray plus amplement
13comme le faict de votre maison de Sainct-Saphorin passa, affin den prendre
14quelque resolution. J’ay depuys aprins quil est bien vray que le conte de
15Gaiasse estoit audit Sainct-Saphorin lhors que le desordre y adveint, et a
16faicte, il y manda pour n’y ouser aller luy mesme, de peur destre offensé,
18dautant que cestoit au quartier du regiment des Landres, cest-à-dire
19des cinq cantons, avec lesquels il estoit mal. Surquoy, ledit colonel Heidt
20m’a asseuré que certainement il estoyt si mal avec ceux desdits Landres
21pour ses mauvais deportemens quil avoit belle peur destre battu ; et de fait
22quil sen alla sans dire adieu n’y à lun, n’y à laultre regiment, ne seulement en
23escrire aux colonel et cappitaines desdits Landres, dont ils sont tellement
24depittés contre luy que si nous venions à avoir besoing d’une levée, ils
25sont deliberés de reserver quils ne seront jamais plus commandés ne
26conduictz par Italiens ; quant à ce que je vous ayescrit que j’auroys
27grand envye de vous aller veoir ; certainement elle me croist tousiours
28davantaige encor que j’y veoye tous les jours moins de moyens ; si nen
29veux-je pourtant encor rompre du tout le dessaing, mesmes si je vous veoyes
30[v] en paix de laquelle je diminue tous les jours lesperance et fault que je
31vous dye que ce qui est advenu à La Rochelle a esté le plus mal à propos du
32monde ; car encor que le roy le desadvoue et declaire estre bien ayse de ce
33que ceux de ladite Rochelle ayent fait punition des autheurs, je veoy bien
34deçà quil y aura bien affère que les huguenots ne les princes et peuples
35protestans sen veuillent rendre capables ; il eust esté bon que tels
36entrepreneurs se fussent repousés interdum etiam nimio studio valde
37peccaturo ; cela m’a fort interrumpu tous mes dessaings dont je me reserve
38vous escrire cy après plus specialement ; quant à ce que les huguenotz
39se vantoyeny d’avoir des reistres, je cuyde vous pouvoir asseurer que ilz
40disent en cela plus quilz ne pensent ou quilz se flattent et que jusques
41icy, il n’y en a poinct dapparance, sinon que ledit faict de La Rochelle
42apporta quelque changement es voluntes desdits protestans et vous
43pouvés penser si par le moyen du commerce que nous avons aujourdhuy
44en Allemaigne à cause du passaige de Pologne. Sa majesté peut estre
45advertye de tout ce que y passe. Neantmoins, si de ma part jen puys
46entendre quelque chose, je ne feray faulte de vous donner incontinant
47advis. Lon avoyt quelque doubte que si le grand commandeur successeur du
48duc d’Alve eust peu accorder avec le prince d’Aurenge, on eust peu faire verser
49celle charge sur nous et appellent cela nous renvoyer la paume. Toutesfoys
50j’ay veu quelques nouvelles par lesquelles il semble quils ne soyent si
51prets d’accorder pour avoir esté descouvert que soubs pretexte de ce traicte,
52ledit commandeur a voulu seduyre les capitaines dudit prince. Vous verrés le
53traslat d’une lettre que le conte Palatin a escritte aux seigneurs de Basle
54et pareillement aux seigneurs de Berne, de tous lesquels deux lieux.
55J’ay recouvré l’aleman et mande au roy. Mais je vous supplie, monseigneur
56pour certains respectz que cela ne soyt communiqué. Par là, on peut comprendre
57que cest que les princes ont en la teste. En somme nous en sommes tous
58[f. 50] lougés là que chacun pense qu’avec la religion va lestat, [, et son particulier]. Jay les mesmes nouvelles
59que vous avés du passaige du roy de Pologne comme je vous ay aussi escrit
60par mes precedentes. Le duc d’Alve doit estre deshormais en Italie. Il est de si
61longue main et si naturellement ennemy du nom françoys, que si Don Joan avoit
62quelque mauvais dessaing sur nous, il ne tireroyt pas à gauche et quant il
63sera auprès de son maistre, il ne fauldra de lenflammer contre nous, quant
64ce ne seroyt que pour cuyder s’excuser de ce quil n’a pas faict es Pays-Bas
65tout ce quil vouloit en reiectant la coulpe sur nous ; et là-dessus, il fault
66que je die quant je pense au peu dordre quil y avoit en Provence dernierement
67que j’y estoys, tant pour le regard des places fortes que des galères, je ne
68puys sinon craindre que comme lon dict la commodita non faccia lhuomo
69ladro, attendu mesme d’un cousté la force que l’Espagnol se trouve avoir
70aujourdhuy sur la mer, et de laultre les plainctes quil faict ouvertement
71de nous. Je laisse les troubles que sont en ce quartier là le mauvais
72mesnage, auquel sont les gouverneurs, entre lesquels je ne puys sinon plaindre
73ce bon personnage contre lequel on a suscité le peuple qui naguères alloit presque
74en procession à Notre Dame de La Garde pour prier Dieu pour sa santé et me
75semble que son extrème vieillesse devoit faire prendre un peu de patience à ceux
76qui entreprennent sur luy. Mais je croy vous en avoir escrit assés amplement
77de Langres si d’adventure ledit Don Joan avoyt quelque dessaing, je vous
78promects que je seroys sur tout en peine d’Avignon pour l’importance d’une
79telle ville. Il est bien raisonable que ayant sa majesté prins la protection
80du Contat, il soyt defendu pour le moins avec autant de soing que ses propres
81pays et me souviens bien quil fust ainsi resoulu lhors que jestoys à la
82court et s’il n’a esté faict, ce a esté très mal à propos, comme aussi je
83trouve que ce a esté , [ajouté : , mal à propos] d’y laisser ainsi passer des forces estrangères
84d’Italie, car tout cela nous pourroyt brouiller et empescher notre accord
85si aucun a à se faire de tout cela on peut descouvrir beaucoup de mauvaises
86intelligences. Dieu par sa grace y veuille pourvoir. Quant au seigneur qui estoit
87[v] venu à Grenoble pour son procès, vous scavés comme son humeur est cogneue par
88vos voysins. J’ay un très grand desyr de veoir monsieur d’Evènes bien accompagné
89à son souhait. On ma dict tous les biens du monde de la damoyselle et ne suys
90que marry quil ne l’aye peu veoyr, car j’ay opinion que cela leust peu
91accorager. Monsieur de Langes y fera ce quil pourra de bone foy asseurés [mais]
92monseigneur, quil vous est entierement serviteur et de tout le cœur. Quant
93à laultre mesdisant, je cuyde que le sieur de Galifet vous aura rapporté ce que
94mon frère luy en dict et ce que jen avoys dailleurs aprins de sorte (quil a]
95beau sexcuser , mais il fault bien que telles langues ayent la mensonge [toute]
96preste pour se dedire le pllus souvent, aultrement ilz ne pourroyent dire
97quilz ne fussent accablés par quelquun de ceux quilz offensent à toutes
98heurtes et à toutes heures.
99Monseigneur, j’ay reservé à la fin comme vous à me condoloir du decès de madame
100votre mère, non pas pour son regard, s’en estant allée hors de ce monde plaine
101dans, d’heur et d’honneur aultant ce me semble que dame que j’aye jamais cogneue
102et y ayant si bien et si sainctement vescu que nous ne pouvons doubter quelle ne soyt
103là où nous devons tous desyrer d’estre. Mais je plains l’ennuy que vous,
104monseigneur et tous messieurs vos frères en receuvrés n’ayant jamais veu enfans
105porter plus d’honneur et de reverance à leur père ou mère que vous faisiés
106très tous à celle bone dame, n’y mère qui porta sem[bla]blement plus de charité [que]
107à vous ; et veux croire comme aussi il est conforme aux promesses de Dieu
108que de ceste pieté est en partie procedé le bon heur de votre maison lequel
109je nestime pas petit encor que vous ayés mené jusques icy une vie assés [travaillée]
110encor qu’une bone partie desdits sieurs vos frères soyent morts assés jeunes, encor que
111les vertus et merites de tant que vous estes n’ayent encor esté si bien recogneues
112comme il appartenoit ; mais je repute ledit bon heur en , [, ce] que vous avés esté et estes
113tous reputés de singulière prudhomie de pareille sagesse et valeur sans quil
114y aye jamais eu que tout honneur en toute votre maison et tous ceux qui sont
115morts, estans tous morts en si bons lieux et si vaillamment que leurs vies ne si
116pourroyent jamais estimer avoir esté courtes. Pour votre particulier, il m’a
117tousiours semblé que Dieu vous a faict entre aultres deux graces fort speciales :
118l’une est de vous avoir baillé une lignée aussi belle et d’aussi bone esperance
119que vous l’heussiés sceu souhaitter ; laultre que je ne vous ay jamais veu [advenir]
120ne traverse, ne travail qui ne vous soyt reusés à honneur, dont vous avés
121[f. 51] davantaige d’occasion de louer Dieu et vous consoler des afflictions, desquelles
122il luy plaict vous visiter quelque foys. Quant au dernier poinct de votre lettre,
123puys que vous vous reservés à vous en resouldre après que Dieu nous aura
124doné quelque paix. Cela me donera encor plus denvye de vous aller
125veoir en ce cas là. Cependant, je me recommande très humblement
126à votre bone grace, en priant Notre Seigneur quil vous done,
127monseigneur, en parfaicte santé très longue et très heureuse vie.
128De Soleurre, le XXXe jour de janvier 1574.