Consultation

XXII, folios:49 50 51
Bellièvre, Pomponne de, comte de Grignon
M. de Gordes
Lettre non liée
18/02/1574
Valence
Soleure

Transcription

Les mots surlignés font l'objet d'une note

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Monseigneur, je receu hier votre lettre du XVIIe, responsive à la mienne du Ve. Vous

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devrés avoir depuis receu deux ou troys des miennes, lesquelles me garderont de vous

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faire du tout si longue responce. La verité est bien telle que vous dictes que j’ay

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trouvé à mon retour de la court beaucoup d’affères, desquels je ne suys encor

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dehors, toutesfoys, il fauldroit quils fussent bien grands s’ils me gardoyent

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de m’aacquitter au moins en partie, de mon devoir en votre endroit. Je ne vous

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diray rien davantaige du seigneur de Sainct-Romain, sinon qu’ayant tenu le

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propos dont mescrivés au neveu de monsieur le premier president, il na rien

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faict en cela, sinon pro caetera sua sapientia. De ma part, j’ayme mieux estre

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comprins au nombre des presidens et conseilliers quil menace que s’il m’en

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avoit excepté. Je doibs avoir icy à ceste chandeleur les colonels et

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capitaines des bandes suisses, avec lesquels je m’informeray plus amplement

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comme le faict de votre maison de Sainct-Saphorin passa, affin den prendre

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quelque resolution. J’ay depuys aprins quil est bien vray que le conte de

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Gaiasse estoit audit Sainct-Saphorin lhors que le desordre y adveint, et a

16 dict [barré : a dict] au colonel Heidt comme sur la plaincte que luy en fust 17

faicte, il y manda pour n’y ouser aller luy mesme, de peur destre offensé,

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dautant que cestoit au quartier du regiment des Landres, cest-à-dire

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des cinq cantons, avec lesquels il estoit mal. Surquoy, ledit colonel Heidt

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m’a asseuré que certainement il estoyt si mal avec ceux desdits Landres

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pour ses mauvais deportemens quil avoit belle peur destre battu ; et de fait

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quil sen alla sans dire adieu n’y à lun, n’y à laultre regiment, ne seulement en

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escrire aux colonel et cappitaines desdits Landres, dont ils sont tellement

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depittés contre luy que si nous venions à avoir besoing d’une levée, ils

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sont deliberés de reserver quils ne seront jamais plus commandés ne

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conduictz par Italiens ; quant à ce que je vous ayescrit que j’auroys

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grand envye de vous aller veoir ; certainement elle me croist tousiours

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davantaige encor que j’y veoye tous les jours moins de moyens ; si nen

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veux-je pourtant encor rompre du tout le dessaing, mesmes si je vous veoyes

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[v] en paix de laquelle je diminue tous les jours lesperance et fault que je

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vous dye que ce qui est advenu à La Rochelle a esté le plus mal à propos du

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monde ; car encor que le roy le desadvoue et declaire estre bien ayse de ce

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que ceux de ladite Rochelle ayent fait punition des autheurs, je veoy bien

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deçà quil y aura bien affère que les huguenots ne les princes et peuples

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protestans sen veuillent rendre capables ; il eust esté bon que tels

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entrepreneurs se fussent repousés interdum etiam nimio studio valde

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peccaturo ; cela m’a fort interrumpu tous mes dessaings dont je me reserve

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vous escrire cy après plus specialement ; quant à ce que les huguenotz

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se vantoyeny d’avoir des reistres, je cuyde vous pouvoir asseurer que ilz

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disent en cela plus quilz ne pensent ou quilz se flattent et que jusques

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icy, il n’y en a poinct dapparance, sinon que ledit faict de La Rochelle

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apporta quelque changement es voluntes desdits protestans et vous

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pouvés penser si par le moyen du commerce que nous avons aujourdhuy

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en Allemaigne à cause du passaige de Pologne. Sa majesté peut estre

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advertye de tout ce que y passe. Neantmoins, si de ma part jen puys

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entendre quelque chose, je ne feray faulte de vous donner incontinant

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advis. Lon avoyt quelque doubte que si le grand commandeur successeur du

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duc d’Alve eust peu accorder avec le prince d’Aurenge, on eust peu faire verser

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celle charge sur nous et appellent cela nous renvoyer la paume. Toutesfoys

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j’ay veu quelques nouvelles par lesquelles il semble quils ne soyent si

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prets d’accorder pour avoir esté descouvert que soubs pretexte de ce traicte,

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ledit commandeur a voulu seduyre les capitaines dudit prince. Vous verrés le

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traslat d’une lettre que le conte Palatin a escritte aux seigneurs de Basle

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et pareillement aux seigneurs de Berne, de tous lesquels deux lieux.

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J’ay recouvré l’aleman et mande au roy. Mais je vous supplie, monseigneur

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pour certains respectz que cela ne soyt communiqué. Par là, on peut comprendre

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que cest que les princes ont en la teste. En somme nous en sommes tous

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[f. 50] lougés là que chacun pense qu’avec la religion va lestat, [, et son particulier]. Jay les mesmes nouvelles

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que vous avés du passaige du roy de Pologne comme je vous ay aussi escrit

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par mes precedentes. Le duc d’Alve doit estre deshormais en Italie. Il est de si

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longue main et si naturellement ennemy du nom françoys, que si Don Joan avoit

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quelque mauvais dessaing sur nous, il ne tireroyt pas à gauche et quant il

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sera auprès de son maistre, il ne fauldra de lenflammer contre nous, quant

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ce ne seroyt que pour cuyder s’excuser de ce quil n’a pas faict es Pays-Bas

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tout ce quil vouloit en reiectant la coulpe sur nous ; et là-dessus, il fault

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que je die quant je pense au peu dordre quil y avoit en Provence dernierement

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que j’y estoys, tant pour le regard des places fortes que des galères, je ne

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puys sinon craindre que comme lon dict la commodita non faccia lhuomo

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ladro, attendu mesme d’un cousté la force que l’Espagnol se trouve avoir

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aujourdhuy sur la mer, et de laultre les plainctes quil faict ouvertement

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de nous. Je laisse les troubles que sont en ce quartier là le mauvais

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mesnage, auquel sont les gouverneurs, entre lesquels je ne puys sinon plaindre

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ce bon personnage contre lequel on a suscité le peuple qui naguères alloit presque

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en procession à Notre Dame de La Garde pour prier Dieu pour sa santé et me

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semble que son extrème vieillesse devoit faire prendre un peu de patience à ceux

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qui entreprennent sur luy. Mais je croy vous en avoir escrit assés amplement

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de Langres si d’adventure ledit Don Joan avoyt quelque dessaing, je vous

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promects que je seroys sur tout en peine d’Avignon pour l’importance d’une

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telle ville. Il est bien raisonable que ayant sa majesté prins la protection

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du Contat, il soyt defendu pour le moins avec autant de soing que ses propres

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pays et me souviens bien quil fust ainsi resoulu lhors que jestoys à la

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court et s’il n’a esté faict, ce a esté très mal à propos, comme aussi je

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trouve que ce a esté , [ajouté : , mal à propos] d’y laisser ainsi passer des forces estrangères

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d’Italie, car tout cela nous pourroyt brouiller et empescher notre accord

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si aucun a à se faire de tout cela on peut descouvrir beaucoup de mauvaises

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intelligences. Dieu par sa grace y veuille pourvoir. Quant au seigneur qui estoit

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[v] venu à Grenoble pour son procès, vous scavés comme son humeur est cogneue par

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vos voysins. J’ay un très grand desyr de veoir monsieur d’Evènes bien accompagné

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à son souhait. On ma dict tous les biens du monde de la damoyselle et ne suys

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que marry quil ne l’aye peu veoyr, car j’ay opinion que cela leust peu

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accorager. Monsieur de Langes y fera ce quil pourra de bone foy asseurés [mais]

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monseigneur, quil vous est entierement serviteur et de tout le cœur. Quant

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à laultre mesdisant, je cuyde que le sieur de Galifet vous aura rapporté ce que

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mon frère luy en dict et ce que jen avoys dailleurs aprins de sorte (quil a]

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beau sexcuser , mais il fault bien que telles langues ayent la mensonge [toute]

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preste pour se dedire le pllus souvent, aultrement ilz ne pourroyent dire

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quilz ne fussent accablés par quelquun de ceux quilz offensent à toutes

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heurtes et à toutes heures.

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Monseigneur, j’ay reservé à la fin comme vous à me condoloir du decès de madame

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votre mère, non pas pour son regard, s’en estant allée hors de ce monde plaine

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dans, d’heur et d’honneur aultant ce me semble que dame que j’aye jamais cogneue

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et y ayant si bien et si sainctement vescu que nous ne pouvons doubter quelle ne soyt

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là où nous devons tous desyrer d’estre. Mais je plains l’ennuy que vous,

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monseigneur et tous messieurs vos frères en receuvrés n’ayant jamais veu enfans

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porter plus d’honneur et de reverance à leur père ou mère que vous faisiés

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très tous à celle bone dame, n’y mère qui porta sem[bla]blement plus de charité [que]

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à vous ; et veux croire comme aussi il est conforme aux promesses de Dieu

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que de ceste pieté est en partie procedé le bon heur de votre maison lequel

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je nestime pas petit encor que vous ayés mené jusques icy une vie assés [travaillée]

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encor qu’une bone partie desdits sieurs vos frères soyent morts assés jeunes, encor que

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les vertus et merites de tant que vous estes n’ayent encor esté si bien recogneues

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comme il appartenoit ; mais je repute ledit bon heur en , [, ce] que vous avés esté et estes

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tous reputés de singulière prudhomie de pareille sagesse et valeur sans quil

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y aye jamais eu que tout honneur en toute votre maison et tous ceux qui sont

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morts, estans tous morts en si bons lieux et si vaillamment que leurs vies ne si

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pourroyent jamais estimer avoir esté courtes. Pour votre particulier, il m’a

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tousiours semblé que Dieu vous a faict entre aultres deux graces fort speciales :

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l’une est de vous avoir baillé une lignée aussi belle et d’aussi bone esperance

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que vous l’heussiés sceu souhaitter ; laultre que je ne vous ay jamais veu [advenir]

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ne traverse, ne travail qui ne vous soyt reusés à honneur, dont vous avés

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[f. 51] davantaige d’occasion de louer Dieu et vous consoler des afflictions, desquelles

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il luy plaict vous visiter quelque foys. Quant au dernier poinct de votre lettre,

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puys que vous vous reservés à vous en resouldre après que Dieu nous aura

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doné quelque paix. Cela me donera encor plus denvye de vous aller

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veoir en ce cas là. Cependant, je me recommande très humblement

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à votre bone grace, en priant Notre Seigneur quil vous done,

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monseigneur, en parfaicte santé très longue et très heureuse vie.

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De Soleurre, le XXXe jour de janvier 1574.

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